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Le Binakol, trésor textile des Philippines

by Fiona Cameron 07 Mar 2023
Le Binakol, trésor textile des Philippines

Binakul, une histoire en tissu, un artisanat à préserver

Par un après-midi tropical lourd et humide, nous avons suivi un chemin poussiéreux, entre de simples habitations ombragées par des manguiers qui nous mena jusqu’à la maison d’une dame, dormant dans la même pièce que son métier à tisser.

Dans sa maison se trouve un cadre de fenêtre, mais pas de fenêtre, un cadre de porte, mais pas de porte. Et quand nous arrivons, la femme fait sa sieste se protégeant ainsi de la chaleur de l’après-midi. Il fait très chaud.

Catalina Ablog, Binakul weaver, Philippines

Nous sommes dans un petit village niché entre la plage et une piste d'atterrissage, non loin de la ville coloniale de Vigan, au nord des Philippines, et la femme que nous sommes venus rencontrer, Catalina Ablog, est l'une des trois dernières femmes qui tissent le Binakul dans la région.

Binakul, textile tissé main au Philippines

Binakul est le nom donné à l'un des motifs les plus reconnaissables du tissage à la main traditionnel aux Philippines, composé de motifs géométriques uniformes et entrelacés. 

Le travail est graphique, et dans les différentes pièces, on peut voir des représentations des vagues de la mer, des tourbillons, des étoiles, des éventails, des empreintes de pattes de chat, des toits “Nipa“ et des fenêtres “Capiz“, de style traditionnel des maisons que l’on trouve dans la région d’Ilocos.

Fenêtres capiz, Vigan, Philippines, image credit Vernon Raineil Cenzon.

Certaines pièces très spéciales sont presque psychédéliques. Le tisserand réussi à créer des cercles dans les carrés qui donnent l’impression de bouger lorsque l’on regarde le tissu. Les peuples indigènes de la région des Cordilleras croyaient
que le tissu Binakul pouvait éloigner les esprits malveillants en étourdissant ainsi les mauvais esprits.

Binakul Whirlpool, textile tissé main

Aujourd'hui, ce style de tissage est en déclin, seule une poignée de femmes de la région d’Ilocos, dans le nord des Philippines, pratiquent encore ce métier. Catalina Ablog nous explique que les jeunes ne sont pas intéressés à apprendre à
tisser, car cela prend trop de temps et que seuls les vieux comme elles veulent encore tisser.

Tisserand de binakul, Philippines. Image credit, Storie.
Elle nous explique que la mise en place d'un métier lui prend environ deux semaines, et qu’il lui faut une journée pour tisser 2 mètres de tissu. Catalina s’est montré très amicale, mais pas particulièrement enthousiaste à l'idée de nous montrer comment tisser, car nous sommes arrivés à l’improviste et sans invitation.

Elle se leva à contrecœur de son lit et s'accroupit sur le sol pour faire tourner un petit fil de coton sur une coque réutilisée d'un biro. Ensuite en commençant à tisser, elle nous dit que maintenant elle travaille beaucoup plus lentement que
lorsqu'elle était plus jeune.

Il y a déjà une petite quantité de tissu tissé, mais Catalina n'a rien à nous vendre. Le binakul sur lequel elle travaille sera prêt seulement dans deux ou trois semaines. Plus tôt dans la journée, un autre acheteur s'était rendu au
village et avait acheté presque tout le tissu. Nous bavardons pendant un moment, et nous laisse filmer son travail. C’est une femme incroyablement belle, mais très timide face à la caméra.

Catalina Ablog, tisserand de binakul.

Nous nous sommes sentis très chanceux d’avoir pu rencontrer Catalina, car on nous avait dit que personne dans la région ne fabriquait encore de métier à tisser et que tous les tisseurs binakul autour de Vigan étaient morts. Cependant notre chauffeur Tony nous avait dit que cela n'était pas vrai, et que dans son village, il y avait encore quelques femmes qui tissaient du binakul. Nous avons alors saisi cette opportunité, et nous nous sommes dirigés directement là-bas.

Il y a encore plusieurs communautés de tisserands dans la région qui produisent différents styles de tissage binakul, mais ce savoir faire risque de disparaître. Le marché local est inondé, comme c'est souvent le cas, de textiles étrangers
importés bon marché, et il y a un manque de bon coton local. Le coton était en effet cultivé dans cette région, mais les colonisateurs espagnols ont progressivement remplacé le coton par une culture plus rentable. Les tisserands à qui nous avons parlé nous ont dit que le coton qu'ils utilisent vient des Etats-Unis. Aujourd’hui, les jeunes n'apprennent plus cet artisanat, car ils préfèrent rechercher un travail mieux rémunéré dans d'autres industries, et en général la valeur de ce tissu est sous-estimée.

Cependant il existe un mouvement pour défendre ce patrimoine artisanal. L'un des défenseurs est Al M Valenciano, artiste et designer, qui a ouvert un centre d'études, dédié à la protection des traditions de tissage des différentes communautés du nord des Philippines :


"Ce qui est important est de préserver cet artisanat. Nous devrions commencer à considérer les différents styles comme faisant partie de notre patrimoine. J’aimerais que le processus soit entièrement documenté…"

J'ai demandé à Al, comment ces précieux objets pourraient survivre, défiés par des alternatives fabriquées à la machine. Sa réponse est de soumettre ce savoir faire traditionnel à la protection des patrimoines artisanaux à travers le monde.


“Ce travail ne doit plus être considéré comme un simple textile, à comparer avec les textiles industriels. Il n'y a aucun moyen de répondre aux prix et à la demande. Mais il doit être considéré comme quelque chose d'exceptionnel - plus proche d'une œuvre d'art ou d'un patrimoine, qui s'avère utile, et s'il y a des gens assez intéressés pour acheter ces pièces de textiles uniques alors oui, nous pouvons survivre“.

Dans son centre d'études, Al possède de magnifiques pièces de textiles provenant des quatre coins du nord des Philippines. Il travaille avec douze groupes de tisserands à travers le pays. Parfois, il travaille sur des modèles traditionnels, et en tant que designer, il collabore également avec les femmes pour faire évoluer et adapter le métier, en jouant avec la couleur et l'échelle, il n’y a aucun doute sur l'origine de l'œuvre, avec des reproductions visibles des œuvres originales - tout en apportant une touche moderne.

Binakul whirlpool, moderne

Al nous montre un superbe pièce binakul (250m par 250m), avec un motif de tourbillon surdimensionné, en bleu et blanc traditionnel qui pourrait être accroché dans une collection de tisserands Bauhaus, ou dans une galerie d'art contemporain. Le design graphique est intemporel, mais si vous êtes familier avec le binakul, vous reconnaissez immédiatement ce savoir faire typiquement
philippin.

 

Le binakul est une illustration de la vie quotidienne dans l'abstraction. Ses motifs racontent une histoire en tissu. Les pièces de tissu sont souvent finies par une broderie en coton, et même ces détails ont leur propre histoire, certains points symbolisent le riz, les mille-pattes, les mains, les vagues de la mer, et d'autres images toujours présentes aux Philippines.

Detail binakul éventail

Pendant des siècles, ce textile solide et durable a été utilisé par les communautés locales du nord des Philippines pour une utilisation quotidienne. Il a été adopté par les colonisateurs espagnols des Philippines, qui ont adoré la conception de
tourbillon du Binakul et qui l'ont même utilisé pour les voiles de leurs galions.

En dépit de sa beauté et de sa facilité d'utilisation, cette technique de tissage risque réellement d'être perdue. Al nous dit qu'après avoir démarré le centre d'étude, il lui a fallu quinze ans pour arriver à la qualité du produit qu'il vend
actuellement. En effet, devenir maître tisserand, demande quinze à vingt ans. Ce projet est donc un travail en constante progression.

Pour Storie, l'importance du binakul réside dans l'art et la complexité de la façon dont il est tissé, mais aussi dans la valeur du patrimoine artisanal, une histoire à raconter afin de préserver cette précieuse tradition.

Voir toute la collection sur www.storieshop.com

* Binakul, également connu sous le nom binakel, binakael ou binakol,
binakul (signifiant «twill» dans Ilocano).

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